Cette page est en cours d'écriture.Tout être vivant appartient à une espèce, et l’évolution entière s’est faite par naissance d’espèces nouvelles ; sans ses espèces la Terre serait un gros caillou nu. L’ordre des espèces enveloppe et outrepasse nos satisfactions pratiques : au-delà d’une description et d’un inventaire ce sont toutes nos valeurs qui s’épanouissent dans leur contemplation. La biodiversité est acclamée de façon unanime comme une valeur incontestable et la sauvegarde des espèces saluée comme mission hautement louable qui fait le fond et le coût des programmes les plus ambitieux et alimente le trafic le plus lucratif après celui de la drogue.
Mais que perd-on quand une espèce s’éteint ? Les protecteurs de la faune et de la flore peinent à se justifier et se réfugient derrière l’évidence hâtive d’une profusion d’arguments lancés pêle-mêle : l’espèce vaut parce qu’elle est utile ou inutile, abondante ou rare, connue ou inconnue, antique ou récente, ressemblante ou différente de l’homme, etc. On peut aimer son poisson rouge comme on aime une bière, et s’il meurt ce n’est qu’un individu de moins dans une foule, un objet qu’on rachète le lendemain. Mais si je mange le dernier poisson d’une espèce, il me semble qu’avec la chair "autre chose" a disparu, comme si en plus de la forme, des aptitudes et de la vie fugitive de chaque être vivant, existait une réalité plus forte qui outrepasse les individus, immuable du moins sur une longue durée, et qui survit dans chaque espèce ou se perd avec elle, et dont la perte nous frustre. Entité détachable du moins en pensée, l’idée archétype est selon Platon le paradigme éternel de toutes les espèces, et selon Aristote la forme substantielle, cette réalité essentielle et permanente qui réside au fond de tous les êtres d’une même espèce.
